Le fractionnement du congé principal suppose l’accord du salarié. Cet accord peut-il résulter d’une clause du contrat de travail ? Le contrat de travail peut-il emporter renonciation aux jours de fractionnement ? La Cour de cassation répond par la négative.
Une entreprise spécialisée dans la fabrication et la commercialisation de pâtes traditionnelles brick et filo doit, pour pouvoir apposer l’estampille « casher », respecter les règles essentielles du judaïsme et, notamment, l’interdiction de travailler ou de faire travailler les samedis et durant les fêtes juives. Les contrats de travail stipulaient que les jours de fermeture exceptionnelle liés aux fêtes juives étaient obligatoirement décomptés des congés payés. La fermeture de l’entreprise avait imposé aux salariés, selon les années, jusqu’à 13 jours ouvrés de congés payés, dont 5 en avril, pris parfois par anticipation.
Faisant valoir qu’ils avaient été irrégulièrement privés de la possibilité de prendre un congé de 24 jours ouvrables continus entre le 31 mai et le 1er octobre de chaque année, alors qu’ils souhaitaient rejoindre leurs familles à l’étranger, et de 2 jours supplémentaires de congés (dits « jours de fractionnement »), les salariés ont sollicité des dommages et intérêts pour privation de leurs droits à congés. La cour d’appel de Versailles a accueilli leurs demandes en retenant que, faute de préciser la liste des fêtes concernées et leur durée dont la date variait chaque année, la stipulation de leur contrat de travail n’était pas suffisamment précise pour valoir agrément des salariés au fractionnement de leur congé principal.
L’employeur s’est pourvu en cassation en soutenant que les stipulations du contrat de travail permettaient de considérer que les salariés avaient donné leur accord au fractionnement de leurs congés payés et avaient renoncé à l’octroi de jours de congés supplémentaires liés au fractionnement. Son pourvoi est rejeté par l’arrêt du 5 mai 2021.
Pour fractionner le congé principal, il faut obtenir l’accord du salarié
Selon la réglementation actuellement en vigueur, le congé principal de 4 semaines peut être pris en une seule fois ou bien en plusieurs fois, autrement dit fractionné, à l’initiative du salarié ou de l’employeur. Une des fractions doit en toute hypothèse être au moins égale à 12 jours ouvrables continus, comprise entre 2 jours de repos hebdomadaires (C. trav. L 3141-19). Ces 12 jours continus sont pris entre le 1er mai et le 31 octobre, sauf accord collectif prévoyant des modalités différentes ou accord individuel du salarié. Les jours restants peuvent être pris, en une ou plusieurs fois, en dehors de la période du 1er mai au 31 octobre (C. trav. L 3141-23). Selon l’article L 3141-19 du Code du travail, lorsque l’employeur entend fractionner le congé principal, il doit obtenir l’accord du salarié. Toutefois, depuis l’entrée en vigueur de la loi 2016-1088 du 8 août 2016, dite « loi Travail », cet accord n’est pas nécessaire en cas de fermeture de l’entreprise. Ces dispositions légales sont d’ordre public.
Les jours pris en dehors de la période du 1er mai au 31 octobre ouvrent droit à des jours de congés supplémentaires, sauf clause contraire d’un accord collectif ou renonciation du salarié (C. trav. L 3141-23), quel que soit l’auteur de la demande de fractionnement. L’employeur est en effet en droit de subordonner le fractionnement du congé à la renonciation par le salarié aux jours de congés supplémentaires. Le salarié a droit à 2 jours ouvrables de congés supplémentaires lorsque le nombre de jours de congés pris en dehors de la période du 1er mai au 31 octobre est au moins égal à 6. Il n’a droit qu’à un seul jour pour un congé de 3, 4 ou 5 jours ouvrables. Et aucun jour s’il prend moins de 3 jours ouvrables (C. trav. L 3141-23).
A noter :
Dans l’espèce soumise à la Cour de cassation, les dispositions légales applicables étaient celles en vigueur avant la loi 2016-1088 précitée. Le fractionnement du congé principal de 24 jours était possible soit avec l’accord du salarié (C. trav. L 3141-18 ancien), soit, lorsque le congé s’accompagne de la fermeture de l’établissement, sur avis conforme des délégués du personnel ou à défaut avec l’agrément des salariés (C. trav. L 3141-20 ancien). La question posée à la Cour était donc de savoir s’il pouvait être considéré que l’accord des salariés, ou l’avis des représentants du personnel, pouvait résulter des stipulations des contrats de travail. Au vu de la généralité de la réponse apportée par la Cour dans sa réponse, la solution qu’elle retient est, selon nous, valable pour l’application du Code du travail dans sa rédaction actuellement en vigueur, l’accord du salarié étant requis lorsque le fractionnement des congés ne s’accompagne pas de la fermeture de l’entreprise.
L’accord du salarié ne peut pas résulter du contrat de travail
La Cour de cassation pose le principe suivant lequel le salarié ne pouvant pas renoncer par avance au bénéfice d’un droit qu’il tient de dispositions d’ordre public avant que ce droit ne soit né, il ne peut pas renoncer dans le contrat de travail à ses droits en matière de fractionnement du congé principal, tant sur le principe du fractionnement que concernant l’octroi de jours de congés supplémentaires né du fractionnement. La Cour rappelle également que le droit à des congés supplémentaires naît du seul fait du fractionnement, que ce soit le salarié ou l’employeur qui en ait pris l’initiative.
La Cour de cassation exige un accord exprès au fractionnement et à l’éventuelle renonciation aux jours de congés supplémentaires induits par le fractionnement. Elle ne valide donc pas une clause contractuelle générale qui, comme en l’espèce, stipule la renonciation par avance, et de manière abstraite (puisque la situation est différente pour chaque période de référence en fonction du calendrier) au bénéfice de droits d’ordre public non encore acquis.
A noter :
Le principe retenu par la Cour de cassation n’étonne pas, car il est conforme à sa jurisprudence en matière de renonciation du salarié aux jours de fractionnement. Une telle renonciation ne se présume pas, l’employeur qui s’en prévaut devant en apporter la preuve (Cass. soc. 4-11-1988 n° 86-42.349 D : RJS 1/89 n° 31). Par exemple, la diffusion d’une note de service subordonnant le fractionnement à une renonciation aux jours de congés supplémentaires ne prouve pas l’accord du salarié (Cass. soc. 13-12-2006 n° 05-42.116 F-D ; 13-1-2016 n° 14-13.015 F-D : RJS 3/16 n° 186). En revanche, le salarié renonce valablement à ses droits lorsqu’il complète un formulaire de demande de congés mentionnant que leur fractionnement vaut renonciation (Cass. soc. 30-9-2004 n° 13-13.315 F-D : RJS 1/15 n° 29). De même, un accord collectif aux termes duquel la demande de fractionnement présuppose l’abandon par le salarié des jours de congés supplémentaires emporte renonciation collective (Cass. soc. 1-12-2005 n° 04-40.811 FS-P : RJS 2/06 n° 226).
Source : © Editions Francis Lefebvre
Pour rappel voir notre précédent article sur : Baisse des taux d’activité partielle à partir du 1er Juin