Pour limiter les conséquences de la crise sanitaire liée au Covid-19, le gouvernement a donné un nouvel élan à l’activité partielle, dispositif auquel les entreprises ont eu massivement recours. Compte tenu de l’allégement de la procédure d’instruction des demandes d’activité partielle et des volumes financiers en jeu, les pouvoirs publics ont décidé de renforcer le contrôle a posteriori pour vérifier leur régularité. Que risquent les employeurs fraudeurs ? Quelle est l’étendue du contrôle opéré par les Direccte ? De quels recours les salariés disposent-ils ? Les réponses à ces questions avec Marion Brière Ségala et Claire Fougea, avocates associées chez Bryan Cave Leighton Paisner.
Pour limiter les conséquences de la crise sanitaire liée au Covid-19, le gouvernement a donné un nouvel élan à l’activité partielle, dispositif auquel les entreprises ont eu massivement recours. Compte tenu de l’allégement de la procédure d’instruction des demandes d’activité partielle et des volumes financiers en jeu, les pouvoirs publics ont décidé de renforcer le contrôle a posteriori pour vérifier leur régularité. Que risquent les employeurs fraudeurs ? Quelle est l’étendue du contrôle opéré par les Direccte ? De quels recours les salariés disposent-ils ? Les réponses à ces questions avec Marion Brière Ségala et Claire Fougea, avocates associées chez Bryan Cave Leighton Paisner.
La Quotidienne : Quels sont les risques encourus par les entreprises fraudant ?
Marion Brière Ségala et Claire Fougea : Les entreprises qui fraudent sont notamment celles qui demandent à être indemnisées au titre de l’activité partielle pour des heures pendant lesquelles les salariés ont en réalité travaillé (sur site ou en télétravail) ou étaient en congés payés ou en RTT. Ce peut être aussi le cas des entreprises qui déclarent des montants de rémunérations perçues par les salariés placés en activité partielle d’un montant supérieur à ce que les salariés perçoivent réellement.
Ces entreprises encourent de nombreuses sanctions.
Elles s’exposent ainsi à ce que les décisions d’autorisation de recours à l’activité partielle et d’indemnisation soient retirées par l’administration et à devoir restituer les allocations d’activité partielle indûment perçues.
Ces entreprises sont également passibles de sanctions pénales. Peut ainsi être constitué le délit de fraude ou de fausse déclaration sanctionné pour les personnes physiques par une peine d’emprisonnement pouvant aller jusqu’à 2 ans et une amende de 30 000 €, montant porté à 150 000 € pour les personnes morales (art. L 8211-1 et L 5124-1 du code du travail, art. 441-6 du code pénal).
Le délit de travail dissimulé (art. L 8211-1, L 8221-1, L 8221-5 et L 8224-1 et suivants du code du travail), ou encore pour les cas les plus graves le délit d’escroquerie (art. 313-1 du code pénal), est également susceptible d’être constaté. Pour le délit d’escroquerie, les personnes physiques encourent une peine de 7 ans d’emprisonnement et 750 000 € d’amende (art. 313-2 5° du code pénal), les personnes morales principalement une amende maximale de 3 750 000 €.
Eu égard à la gravité des faits constatés, l’entreprise s’expose aussi à des sanctions administratives lorsque l’autorité administrative a connaissance d’un procès-verbal relevant l’une des infractions constitutives de travail illégal mentionnées à l’article L 8211-1 du code du travail: interdiction de bénéficier pendant 5 ans d’aides publiques et remboursement de tout ou partie de celles déjà perçues au cours des 12 derniers mois précédant l’établissement du procès-verbal de constat de la fraude (art. L 8272-1 du code du travail).
Le risque d’un redressement Urssaf est aussi important puisque les indemnités d’activité partielle perçues par les salariés pour des heures en réalité travaillées seront considérées comme des rémunérations et donc soumises intégralement à cotisations et contributions sociales, avec application de pénalités et de majorations.
La Quotidienne : Quels sont les pouvoirs de contrôle des services de la DIRECCTE ?
Marion Brière Ségala et Claire Fougea : Dans le contexte de la crise sanitaire liée au COVID-19, les conditions de recours à l’activité partielle ont été assouplies, notamment avec la réduction à 2 jours du délai d’instruction par l’autorité administrative des demandes d’activité partielle (délai rétabli à 15 jours depuis le 1er octobre 2020).
Au regard du recours massif à l’activité partielle et à l’importance des volumes financiers en cause, les pouvoirs publics ont rappelé la nécessité de déployer un « plan de contrôle a posteriori », précisé par deux instructions ministérielles (Instruction du 5 mai 2020 complétée par une Instruction du 14 mai 2020 non diffusées).
Le ministère du Travail invite à distinguer les entreprises qui, de bonne foi, ont fait des erreurs dans leur demande d’indemnisation, de celles qui ont fraudé. Soulignant que la « mise en place du nouveau système d’activité partielle et l’afflux d’entreprises ne l’ayant jamais mobilisé jusque-là peuvent entraîner des erreurs dans le renseignement des demandes d’indemnisation », le ministère du Travail invite les DIRECCTE à accompagner les entreprises dans la régularisation de leurs demandes.
S’agissant du déroulement des contrôles, le ministère du Travail précise les types de vérifications effectuées. Les « contrôles sur pièces » pour lesquels sont mobilisés les agents en charge de l’activité partielle. Et les « contrôles complémentaires », notamment « sur place », permettant de réaliser des contrôles plus approfondis lorsqu’un dossier examiné dans le cadre d’un contrôle sur pièces apparaît relever d’un cas de « fraude complexe demandant la mobilisation de pouvoirs d’enquêtes qui excèdent ceux des agents en charge de l’activité partielle ». Pourront notamment être mobilisés l’inspection du travail, les unités de contrôle régional de la lutte contre le travail illégal (URACTI), en lien au besoin avec les inspecteurs des URSSAF.
Parmi les documents que les agents de contrôle demanderont à consulter, on peut citer les plannings des salariés et plus généralement tout document en lien avec les décomptes/contrôles du temps de travail, spécifiquement concernant les salariés en télétravail qui sont l’une des cibles prioritaires du plan de contrôle. Ils pourront bien évidemment également demander communication des avis du CSE ou encore des bulletins de paie faisant apparaître le nombre d’heures indemnisées au titre de l’activité partielle, les taux appliqués et les sommes versées aux salariés.
En se rendant sur place, les agents de contrôle pourront interroger l’employeur mais également les représentants du personnel ou les salariés à qui il pourra être demandé des précisions sur leurs horaires de travail et de remettre des éléments permettant de justifier les heures qu’ils ont réellement travaillées (agendas, emails…).
Il est également prévu la possibilité de procéder à des vérifications par le biais de croisement de données administratives.
Le ministère du Travail a fait savoir jeudi 17 septembre 2020 à l’AFP que le cap des 50.000 contrôles sur les demandes d’activité partielle a été franchi, le montant de la fraude étant évalué à 225 millions d’euros dont plus de la moitié a été récupérée ou bloquée. Ces contrôles ont selon le ministère du Travail débouché sur 9500 « suspicions » de fraude et 440 procédures pénales en cours.
La Quotidienne : Quels sont les recours des salariés en cas de fraude à l’activité partielle de la part de leur employeur ?
Marion Brière Ségala et Claire Fougea : Les salariés qui ont travaillé pendant des périodes d’activité partielle peuvent réclamer auprès de leur employeur que leur soit versé leur salaire « normal » au lieu et place des indemnités d’activité partielle qu’ils ont perçues.
Si leur employeur ne régularise pas leur situation, ils pourront demander l’appui des représentants du personnel de leur entreprise.
Les salariés peuvent également procéder à un signalement à la DIRECCTE. Le ministère du Travail a d’ailleurs invité les salariés, les organisations syndicales et les CSE à signaler tout manquement au dispositif d’activité partielle et a demandé aux DIRECCTE un « traitement rapide et systématique » de ces signalements (Instruction ministérielle du 5 mai 2020).
En dernier recours, les salariés pourront saisir le conseil de prud’hommes. Outre des rappels de salaires, ces salariés pourraient demander la condamnation de leur employeur à des dommages-intérêts pour le préjudice subi du fait de cette situation, voire réclamer le paiement d’une indemnité forfaitaire de travail dissimulé de 6 mois de salaire (article L 8223-1 du code du travail), laquelle n’est due que si le contrat de travail du salarié a été rompu et qui nécessitera pour le salarié de démontrer l’intention de l’employeur de commettre l’infraction de travail dissimulé, intention qui ne peut résulter d’une simple erreur.
Par Marion BRIERE SEGALA et Claire FOUGEA, avocates associées chez Bryan Cave Leighton Paisner