Le tribunal judiciaire de Paris, contrairement à celui de Nanterre, vient de juger que les salariés en situation de télétravail doivent bénéficier de titres-restaurant lorsque l’employeur en attribue aux salariés travaillant sur site. Selon lui, aucune différence de traitement ne se justifie en l’espèce.
Un CSE reproche à son employeur d’avoir cessé d’attribuer des titres-restaurant aux télétravailleurs
Dans le contexte de la pandémie liée au covid-19, une société a placé la plupart de ses salariés en télétravail dès le premier confinement de mars 2020.
Elle a rapidement informé ses salariés qu’elle réservait l’attribution des titres-restaurant aux seuls salariés travaillant sur site, ceux en télétravail n’en bénéficiant donc plus.
Le CSE a fait part de son désaccord lors d’une réunion ordinaire, mais la société a maintenu sa position. Le CSE a alors saisi le tribunal judiciaire de Paris et a obtenu gain de cause.
Dans son jugement du 30 mars 2021, le Tribunal a ainsi écarté chacun des arguments de l’employeur.
À noter : pour mémoire, l’attribution de titres-restaurant n’est pas légalement obligatoire. La question du droit des télétravailleurs à en bénéficier ne se pose donc pas si l’employeur n’en attribue pas du tout à ses salariés.
Principe de l’égalité de traitement à conditions de travail identiques
Le tribunal judiciaire de Paris a rappelé les règles justifiant que le télétravailleur doit bénéficier des titres-restaurant si ses conditions de travail sont équivalentes à ceux travaillant sur site.
En vertu du code du travail, le télétravailleur a les mêmes droits que le salarié qui exécute son travail dans les locaux de l’entreprise (c. trav. art. L. 1222-9). De son côté, l’ANI du 19 juillet 2005 relatif au télétravail – dont est issu le texte de loi – évoque le principe de droits et d’avantages identiques entre les télétravailleurs et les salariés sur site « en situation comparable » (art. 4).
Notons, comme le rappelle aussi le tribunal, que le ministère du Travail a rappelé ce principe dans son document questions/réponses sur le télétravail et relève qu’en application du principe général d’égalité de traitement entre salariés, lorsque les salariés exerçant leur activité dans les locaux de l’entreprise bénéficient des titres-restaurant, les télétravailleurs doivent aussi en recevoir si leurs conditions de travail sont équivalentes (Q/R sur le télétravail en période de covid-19, www.travail.gouv.fr).
Pour autant, comme le relève tribunal judiciaire de Paris, le principe d’égalité de traitement ne s’oppose pas à ce que soient réglées de façon différente des situations différentes. Mais il faut alors que la différence de traitement soit justifiée par des raisons objectives, matériellement vérifiables et en rapport avec l’objet de la règle qui l’établit.
Aucune différence de traitement justifiée entre les salariés sur site et les télétravailleurs
En pratique, dans cette affaire, il revenait à l’employeur de justifier que :
- les télétravailleurs étaient dans une situation distincte en raison, notamment, des conditions d’exercice de leurs fonctions ;
- le refus d’attribution des titres-restaurant était fondé sur raisons objectives, matériellement vérifiables et en rapport avec l’objet des titres-restaurant.
Le tribunal judiciaire de Paris a balayé les différents arguments et conclu que, dès l’instant où l’employeur ne justifiait pas que les télétravailleurs se trouvaient dans une situation distincte, le refus de leur attribuer des titres-restaurant ne reposait donc sur aucune raison objective en rapport avec l’objet des titres-restaurant.
L’objet du titre-restaurant ne justifie pas de différence de traitement. – L’employeur soutenait que le titre-restaurant permet de se restaurer au salarié qui ne dispose pas d’un espace pour préparer son repas, ce qui s’accorde peu avec le salarié en télétravail qui dispose de sa cuisine personnelle.
Pour les juges, cet argument est inopérant à plus d’un titre :
- d’une part, la définition du télétravail n’implique nullement que le salarié doit se trouver à son domicile, ni qu’il doit disposer d’un espace personnel pour préparer son repas (voir c. trav. art. L. 1222-9) ;
- d’autre part, l’objet du titre-restaurant tel que prévu par les textes est de permettre au salarié de se restaurer lorsqu’il accomplit son horaire de travail journalier comprenant un repas, mais cela n’est pas conditionné par le fait qu’il doit disposer d’un espace personnel pour préparer ce repas (voir c. trav. art. L. 3262-1).
En outre, les dispositions relatives aux titres-restaurant n’autorisent pas l’employeur, une fois qu’il a fait le choix d’en distribuer à ses salariés, à déterminer librement parmi les salariés lesquels peuvent bénéficier ou non d’un titre-restaurant.
Les conditions d’utilisation des titres-restaurant sont compatibles avec le télétravail. – L’employeur soutenait aussi que le salarié ne peut pas utiliser un titre-restaurant pour acheter autre chose qu’un repas en restaurant, ou un repas directement consommable, ou des fruits et légumes même non directement consommables, ce qui exclut que le salarié s’en serve pour financer ses courses de la semaine.
Les juges ont aussi écarté cet argument. Selon eux, les conditions d’utilisation des titres-restaurant sont compatibles avec l’exécution des fonctions en télétravail puisqu’elles ont pour principe directeur de permettre au salarié de se restaurer lorsque son temps de travail comprend un repas. Or, à ce titre les télétravailleurs se trouvent dans une situation équivalente à celle des salariés sur site.
Le silence de l’ANI du 26 novembre 2020 ne justifie pas une différence de traitement. – L’accord national interprofessionnel (ANI) du 26 novembre 2020 « pour une mise en œuvre réussie du télétravail » ne contient aucune mention expresse relative à la restauration des salariés en télétravail.
Aux yeux du tribunal judiciaire de Paris, cela ne permet aucunement de conclure que l’employeur n’a aucune obligation d’attribuer des titres-restaurant aux salariés en télétravail.
L’employeur condamné sous astreinte à accorder des titres-restaurant aux télétravailleurs
Le tribunal judiciaire de Paris a jugé que les salariés en situation de télétravail devaient bénéficier de titres-restaurant comme les salariés travaillant sur site.
L’employeur a donc été condamné à attribuer aux salariés en situation de télétravail un titre-restaurant pour chaque jour travaillé au cours duquel le repas est compris dans leur horaire de travail journalier, à compter de la date d’assignation en justice, sous astreinte de 100 € par infraction et par jour de retard, courant à compter d’un délai de 30 jours suivant la signification du jugement.
Décision en opposition avec celle du tribunal judiciaire de Nanterre
La décision du Tribunal judiciaire de Paris doit être prise avec les précautions d’usage étant donné qu’il s’agit d’un jugement de première instance.
On rappellera que le tribunal judiciaire de Nanterre a jugé l’inverse le 10 mars 2021, au motif que les situations n’étaient pas comparables étant donné que les télétravailleurs peuvent se restaurer à leur domicile et éviter ainsi le surcoût d’une restauration prise hors de chez eux (voir notre actu du 12/03/2021, « Au tribunal judiciaire de Nanterre, télétravail ne rime pas forcément avec titres-restaurant»).
L’avenir nous dira ce qu’il adviendra de ces affaires en appel, voire devant la Cour de cassation.
Source : Revue fiduciaire
Pour rappel voir notre précédent article sur : Exonérations et aides au paiement des cotisations « Covid » : la DSS diffuse une nouvelle instruction