Définitivement adoptée le 17 novembre 2022, la loi « marché du travail » institue une présomption de démission en cas d’abandon de poste par le salarié et précise les modalités de mise en œuvre de ce nouveau dispositif. L’entrée en vigueur de cette mesure, qui a fait l’objet d’un recours devant le Conseil constitutionnel, est subordonnée à la publication d’un décret d’application.
L’abandon de poste
Cette pratique consiste pour un salarié à cesser le travail sans autorisation, ce qui, selon la Cour de cassation, ne caractérise pas une démission en l’absence de volonté claire et non équivoque de rompre le contrat de travail (Cass. soc. 24-1-1996 n° 92-43.868 P), et impose généralement à l’employeur de prendre l’initiative de la rupture en prononçant un licenciement disciplinaire. Le salarié licencié peut alors prétendre aux allocations de chômage.
L’objectif des auteurs de l’amendement dont est issu le texte de loi est de mettre un terme à cette forme « d’auto-licenciement », afin de limiter les perturbations qu’il engendre dans les entreprises. Pour les sénateurs, « Il n’est en effet pas souhaitable qu’un salarié licencié à l’issue d’un abandon de poste dispose d’une situation plus favorable en matière d’assurance chômage qu’un salarié qui démissionne et qui n’est pas indemnisé. La présomption de démission prévue à cet article mettra un terme à cette différence de traitement injustifiée.
Une mise en demeure pour s’assurer que le salarié veut réellement quitter son emploi
Selon le nouvel article L 1237-1-1 du Code du travail, le salarié qui abandonne volontairement son poste et ne reprend pas le travail après avoir été mis en demeure de justifier son absence et de reprendre son poste dans le délai fixé par l’employeur, est présumé avoir démissionné à l’expiration de ce délai.
Une présomption de démission en cas d’absence volontaire …
Le texte instaure une présomption simple de démission du salarié, qui peut être renversée si le salarié conteste la rupture de son contrat de travail devant le juge (voir ci-dessous).
L’application de cette présomption de démission est subordonnée au caractère volontaire de l’abandon de poste du salarié. En d’autres termes, si cet abandon de poste est contraint et résulte, par exemple, du comportement fautif de l’employeur, la démission ne peut pas être présumée.
A noter : Les députés à l’origine de ce nouveau dispositif ont d’ailleurs indiqué dans l’exposé des motifs de la loi que la mesure ne s’appliquerait pas aux salariés qui quittent leur poste pour des raisons de santé ou de sécurité. Pour rappel, le Code du travail prohibe les mesures discriminatoires fondées sur l’état de santé du salarié.
Par ailleurs, les sénateurs ont précisé dans leur rapport que certaines situations, considérées comme des motifs d’absence justifiée ou légitime, ne peuvent pas être qualifiées d’abandon de poste. Il s’agit notamment :
– de l’exercice du droit de retrait, autorisé lorsque le travailleur estime se trouver dans une situation de danger imminent ;
– de l’exercice du droit de grève ;
– du fait pour un salarié de quitter son poste sans autorisation en raison de son état de santé afin de consulter un médecin ;
– du fait pour le salarié de ne pas revenir travailler à l’issue d’un arrêt de travail si la visite médicale de reprise n’a pas encore eu lieu ;
– du refus du salarié d’exécuter une instruction de sa hiérarchie contraire à la réglementation ;
– du refus d’une modification unilatérale du contrat de travail, telle que le passage d’un horaire de jour à un horaire de nuit).
… subordonnée à l’envoi d’une mise en demeure au salarié …
Pour pouvoir se prévaloir d’une présomption de démission du salarié qui abandonne son poste, l’employeur doit au préalable l’avoir mis en demeure de justifier de son absence et de reprendre son poste dans le délai qu’il fixe. Si le salarié ne répond pas, la procédure peut se poursuivre. Mais si le salarié justifie d’un motif d’absence légitime – notamment l’un de ceux évoqués ci-dessus (raison de santé, droit de retrait, etc.), ou réintègre son poste de travail, la présomption de démission tombe. Cette mise en demeure permet ainsi de s’assurer que l’abandon de poste est volontaire et réitéré.
A noter : Le texte ne précise pas le délai que l’employeur peut impartir au salarié pour justifier de son absence et reprendre le travail. En tout état de cause, celui-ci ne peut pas être inférieur à un minimum fixé par décret à paraître (voir ci-dessous). Rappelons que, pendant la période d’absence injustifiée du salarié – c’est-à-dire, selon nous, à compter de la date de notification de la mise en demeure – dans la mesure où celui-ci n’exécute pas son travail, il ne peut pas prétendre à sa rémunération.
La mise en demeure peut être transmise au salarié par lettre recommandée ou par lettre remise en main propre contre décharge.
A noter : En pratique, dans la mesure où le salarié ne se présente plus au travail, le recours à la lettre recommandée semble plus adapté. Il est possible d’utiliser la lettre recommandée électronique, qui présente l’avantage de permettre de justifier du contenu de la mise en demeure, crucial ici, mais à condition que le salarié ait au préalable accepté de recevoir ce type de lettre.
… et au respect d’un délai minimal
Le salarié qui ne justifie pas de son absence ou ne reprend pas le travail dans le délai qui lui a été imparti par l’employeur par mise en demeure (voir ci-dessus) est présumé démissionnaire à l’expiration de ce délai. Celui-ci ne peut pas être inférieur à un délai minimum qui sera fixé par décret en Conseil d’État (à paraître). Le contrat de travail est donc rompu à cette date.
A noter : Ce délai devrait commencer à courir à compter de la date de notification de la mise en demeure, et non à partir de la date de l’abandon de poste. Il serait souhaitable que le décret à paraître précise si le délai court à compter de l’envoi de la mise en demeure par l’employeur, ou de sa réception par le salarié.
Une procédure accélérée de contestation devant les prud’hommes
Le salarié présumé démissionnaire peut contester la rupture de son contrat de travail en saisissant directement le bureau de jugement du conseil de prud’hommes, qui se prononce sur la nature de la rupture et ses conséquences.
A noter : Lorsqu’un salarié démissionne sans faire état de réserves, puis saisit la justice d’une demande de requalification de la rupture, le juge peut considérer que cette démission est équivoque. S’il juge la démission équivoque en raison de manquements reprochés à l’employeur, celle-ci sera requalifiée en prise d’acte produisant les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les faits invoqués la justifient ou, dans le cas contraire, d’une démission. Le juge prud’homal doit statuer au fond sur la demande du salarié dans un délai d’un mois.
A notre avis : En pratique le délai d’un mois n’est pas tenable pour des raisons tenant tant aux moyens des conseils de prud’hommes qu’aux règles de procédure telles que le principe du contradictoire. Il n’en demeure pas moins que la procédure accélérée, également prévue en matière de prise d’acte de la rupture du contrat de travail (C. trav. art. L 1451-1) ou en cas de demande de requalification d’un CDD en CDI (C. trav. art. L 1245-2), permet au justiciable de voir son affaire jugée plus rapidement qu’avec la procédure classique.